Le mystère de la chambre close

Le baron de Hirsch, le lieutenant Conan de la police d’État et Gaston Jeunet discutent d’une série de meurtres. Du moins, Hirsch en parlait. Conan et Gaston avaient juste le droit d’écouter, tandis que le grand Hongrois au nez en bec d’aigle résout par une suite de déduction éblouissante, marquée d’une logique inattaquable, une demi-douzaine des cas les plus célèbres qui demeurent encore dans les fichiers de la police avec la motion « en suspens ».

Hirsch : Les meurtres les plus difficiles à résoudre sont les plus faciles à concevoir. Prenez le cas de cette femme, lady Marmelade. Une noble de Nouvelle-Orléans. Une divorcée, je crois. On l’a retrouvée dans une chambre un couteau enfoncé dans le dos. Le plus étrange dans cette histoire, c’est cette pièce fermée de l’intérieur.
Conan : Encore le vieux coup du mystère de chambre close.
Hirsch : Vous ne croyez pas si bien dire. Le meurtre a eu lieu il y a vingt ans. Je suis le seul à détenir la vérité à son sujet. Une histoire terrible, affreuse, dont la justice n’a pas su démêler le vrai du faux. Moi, c’est différent. La pièce m’a parlé. Elle m’a raconté cette épreuve terrible.
Gaston : La pièce vous parlait ?
Hirsch (offusqué) : bien sûr que la pièce me parlait !! N’oubliez pas que je suis le promoteur de la théorie de la chambre en verre.
Conan : j’en ai entendu parler. Quel en est le principe déjà ?
Hirsch : Assez simple ma foi. Laissez un homme et une femme dans une chambre avec un grand lit drapé de satin d’or, posez des glaces au plafond, déposez du champagne dans un sceau près d’une chaîne jouant du blues en sourdine. Si au bout d’un quart d’heure un participant s’exclame : « C’est con, si on était trois, on pourrait se faire un loup », il est trop tard, le processus du meurtre est en route.
Conan et Gaston se regardent, abasourdis.
Hirisch : Dans le cas de lady Marmelade, il ne s’agit pas d’une chambre close de ce type. Non. Ça aurait été trop simple.
Gaston : Comment était cette chambre ?
Le baron plisse les yeux, scrute Gaston minutieusement en maugréant, puis prit délicatement sa tasse de thé.
Hirsch : La pièce devait faire 32 mètres carrés. En rentrant à droite, il y avait une fenêtre avec d’épais rideaux rouges. Juste à côté, une table basse avec de menus objets rapportés de voyages. Beaucoup de figurines de Mao Zedong et des tubes en porcelaines. Une commode du 13e se trouvait le long du mur gauche. Le corps gisait entre la commode et le lit qui se situait au milieu de la pièce. La femme était allongée sur le ventre, les bras en croix, un couteau enfoncé dans le dos.
Conan : Mais c’est horrible !
Hirsch : La police avait conclu à un suicide. Lady aurait coincé un couteau dans une fente de la commode avant de se jeter dessus et mourir. Tout cela dans le seul but de contrarier sa logeuse avec qui elle aurait eu des mots le matin même.
Conan : Le mobile ne tient pas. Se suicider pour une contrariété, cela n’a aucun sens.
Hirsch : Lady Marmelade était une femme très susceptible, y compris envers elle même. Dix ans plus tôt, elle avait dû réviser son autobiographie dans laquelle elle avait négligé de s’inclure. Contrariée par un si surprenant oubli, elle avait installé un tuyau de 12 mètres dans son salon. Elle a vécu 3 ans dedans. À sa sortie, l’amical des plombiers d’Oliver Street l’ont nommé membre à vie du de la confrérie du plomb urbain et ont mené une campagne pour que tous les Anglais vivent trois ans dans un tuyau afin d’apprendre la vraie valeur des choses.
Gaston : Quelle drôle d’histoire. On peut tout imaginer de la part de ce genre d’individu.
Hirsch : Oui. Mais il y avait un détail qui me turlupinait dans ce meurtre. Une paire de chaussettes.
Conan : Une paire de chaussettes ?
Hirsch : Une paire de chaussettes…
Gaston : Une paire de chaussettes !
Hirsch : Intrigant n’est-ce pas ?
Conan : De la part d’une lady, c’est évident !
Hirsch : Cette femme de 72 ans en paraissait 20, sauf qu’elle portait des couches confiances et qu’elle avait un déambulateur. Son mari l’avait quittée en 1977 parce que sa femme ne supportait plus sa manie de mettre des plumes pour dîner. Il est donc totalement anormal qu’une paire de chaussettes traînât dans sa demeure.
Conan : Comment avez-vous trouvé cet indice ?
Hirsch : Dans la bouche de la victime.
Gaston : Dans la bouche ?
Hirsch : Oui ! Du 45 rouges et noirs, roulés en boule. La paire avait été repassée, ça ne fait pas un pli. Les policiers se sont moqués de moi lorsque j’ai attiré leur attention sur ce détail. Le commissaire a tellement ri qu’il en a perdu une dent.
Gaston : Et ils ont conclu au suicide avec une paire de chaussettes enfoncée dans la gorge et un couteau planté dans le dos de la victime. Je vous jure. Ces fonctionnaires représentent la décadence de l’intellect humain.
Conan : Heureusement que vous étiez là.
Hirsch se redresse dans son fauteuil, pose sa tasse et bourre une pipe d’un fort joli calibre. Il se retourne et considère Conan d’un sourire amical.
Hirsch : Je résume : il est donc impossible de sortir ou de rentrer dans cette chambre, et sur ce point je suis formel : fenêtre fermée, rideaux tirés. Personne ne peut voir ce qui se trame dans cette pièce. Le verrou de la porte est en fer et il n’a pas été trafiqué, j’ai procédé moi-même aux expertises.
Gaston : Mais comment diable.
Hirsch :.. La bouche d’égout mon cher !
Gaston et Conan restent cois.
Hirsch : Il fallait y penser n’est-ce pas ! Il y avait une bouche d’égout dans la chambre, bien cachée sous un tapis.
Conan : Mais elle vivait dans un appartement, c’est matériellement impossible ! Votre théorie ne tient pas debout.
Hirsch : Pas du tout. Souvenez-vous. Je vous ai dit qu’elle avait vécu dans un tuyau. Au lieu de s’en débarrasser, elle s’en est servi pour installer un tout-à-l’égout dans sa chambre à coucher. Pratique et confortable !
Conan : incroyable !
Gaston : génial !
Conan : Mais qui a fait le coup ?
Hirsch : Un laborantin. J’ai suivi le tuyau, il était au bout. Il volait des tubes pour faire des expériences illégales. Il se plaignait de ne pas avoir suffisamment de subventions de l’État pour poursuivre ses recherches. Du coup, il assassinait toutes les personnes qui possédaient des tubes mais qui n’en avait pas l’utilité. Une sorte de redresseur de torts. Ses recherches portaient sur bébés-éprouvette. On l’a retrouvé mort, le sexe congestionné par un tube trop petit pour son anatomie.
Lady Marmelade est une victime de la science.

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