Mise à jour 7 octobre 2019
(Cet article est souvent visité. N’hésitez pas à me communiquer vos impressions ou vos témoignages via mon adresse mail).
Il existe des personnalités débordantes de créativités. Vous savez : celles qui débordent d’idées et se posent sans cesse des myriades de questions. Dans leur tête, ça va trop vite. Ils en ont marre des doutes, de cette conscience suraiguë des choses. On les surnomme habituellement des surchauffés du bulbe, certains psys préfèrent le nom de surefficients mentaux. Pour être heureux, ils doivent utiliser leur cerveau à plein régime. C’est dans la gestion d’un nombre de données importantes qu’ils ressentent un maximum de plaisirs. En revanche, quand il y a un passage à vide, ils dépriment quitte à tomber dans la dépression. Ces personnes représentent 15 à 20% de la population française. C’est le constat de Christel Petitcollin dans son livre « je pense trop ». C’est aussi la vie de mon ami Eric Johnrush dont je vais raconter l’histoire.
« Mais pourquoi tu dis ça? ».
Cette phrase, Éric l’a entendu toute sa vie : profs, amis, étudiants, collègues, chefs de service. Bref, diverses autorités de divers lieux dans diverses villes à diverses époques.
Cette phrase, il m’en parle sans cesse. C’est de là que m’est venue l’idée de m’intéresser à son cas.
Éric est mon ami d’enfance. Nous nous sommes rencontrés au collège. Aujourd’hui, il travaille dans les médias. Il fut un temps où il a beaucoup voyagé. Il a vu des horreurs, mais également des paysages merveilleux. Il a rencontré des présidents, des milliardaires, des pauvres, des gens comme nous, des résistants du printemps arabe… Il a toujours préféré les sujets traitant des injustices.
Éric est un surefficient mental, c’est-à-dire qu’il possède des facultés hors normes dans le sens où il n’appréhende pas la réalité comme nous. Il le vit clairement comme un handicap car ses interactions avec « les autres » ne sont jamais simples. Ce n’est pas un surdoué.
Par exemple, si nous, nous recevons un ordre direct de la part d’un supérieur, nous comprenons ce qu’il dit et nous obtempérons. Un surefficient mental ne réagira pas aussi simplement. Au moment où le supérieur lui donnera un ordre, le surefficient prend en compte une multitude d’informations : l’odeur du directeur, le cadre dans lequel ils parlent, la lumière extérieure, le bruit environnant, la qualité du tissu de la chemise, est-elle repassée ou pas, a-t-il pris du poids, etc.
En l’espace d’une seconde, il a scanné le monde environnant qu’il a mis en exergue dans son propre ressenti du moment pour analyser l’ordre. Là où vous vous êtes posé une ou deux questions, il s’en est posé 100. c’est dû à son mode de pensée dit « en arborescence ». La majorité des gens vont d’un point a un autre en étudiants chaque cas de figure selon un mode de pensée scolaire. Eric va plus vite, comme si il visualisait un arbre ou chaque branche menait à une réponse dont la meilleure serait luminescente.
Les surefficients mentaux représentent moins de 20% de la population française. Ils sont donc « hors norme » contrairement aux normopensants. Leur caractéristique principale : ils utilisent leur encéphale droit, celui des arts, de l’imagination, etc., beaucoup plus que l’encéphale gauche, celui des maths, etc.
De la complexité

L’enfance, c’est la province, la mer, le vélo, les espaces de liberté, les soirées discothèques, la bière à volonté, Indochine, les potes musiciens, un lycée catholique, la fac de droit.
Éric, c’est le gars le plus drôle que je connaisse. Il est curieux, hyperactif et bienveillant. Quand il vanne, c’est du Ping Ping: ça va très vite.
Quand nous étions jeunes, Éric se vantait de voir très loin. Il observait tout, décortiquait son monde environnant. Il captait une foule de petits détails, les stylos, la vue par la fenêtre, un bas de pantalon élimé, les dates des revues dans une salle d’attente. Ses yeux étaient des scanners. Il ne regardait pas, il scrutait. Il répétait qu’il voyait « les choses au ralenti ». Au collègue, la luminosité le dérangeait.
Son eidétisme lui permettait de recevoir avec une grande acuité sensorielle des objets perçus plus ou moins longtemps auparavant, sans croire à la réalité matérielle du phénomène. Nous, nous voyons des couleurs simples, lui voyait des centaines de demi-teintes, avec une multitude de nuances.
Cette faculté l’a fait passer pour une sorte d’originale. Dans une cour de récréation, lorsqu’un gamin vous dit: « tu as un pull jaune », les autres acquiescent sans chercher la petite bête. Éric passait son temps à chercher le bon mot, sans toujours le trouver, pour définir cette couleur. Comme si les mots n’étaient pas assez précis. Des questions qu’il n’hésitait pas à nous faire partager. Mais nous étions des gamins. « Mais pourquoi tu dis ça? ».
La couleur, c’est un truc très présent chez lui. Je me souviens d’un jeudi. Je détestais le jeudi, et encore aujourd’hui, je le trouve trop loin du vendredi soir. Éric me disait « jeudi, c’est un jour bleu ». Forcément, beaucoup se moquait. Puis il nous expliquait que si le jeudi était bleu, le mercredi était jaune, le mardi vert, le lundi noir et le vendredi orange.

Quelle mouche avait donc piqué ce gamin pour qui les jours avaient des couleurs? Aujourd’hui encore, Éric me parle de jours et de leurs teintes. Il semblerait d’ailleurs que sa passion des couleurs l’ait amené à « voir » des formes d’auras autour des gens avec qui il parle. En fonction de la couleur, il se méfie plus ou moins. Il me dit que cela lui sert dans son boulot. Dont acte.
Toutes ces couleurs ont donné à Éric une forme de passion pour les mots. Je l’ai vu chercher la définition d’un terme, frissonner en en entendant certains. Le mot « légende » est pour lui un mot marron chocolat, l’un des plus beaux de la langue française. Les mots, c’est comme s’il les voyait en reliefs. Les mots se rattachent à des actions ou des personnes. Éric se souvenait d’une foultitude de détails insignifiants pour la majorité grâce aux mots.
D’ailleurs, Le Monde vient de sortir un article intéressant sur ce thème : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/05/03/mon-e-est-vert-le-sien-est-bleu-le-jour-ou-ils-ont-decouvert-qu-ils-sont-synesthetes_6078950_1650684.html
Le cerveau d’Éric a besoin de complexité. Quand elle n’est pas sollicitée sur un sujet donné avec la nécessité de faire un effort de concentration, cette pensée fonctionne en mode automatique. Elle navigue seule dans ses arborescences, saute du coq à l’âne et flotte dans des rêvasseries sans fin. Éric est rêveur, distrait et désorganisé. Mais cette pensée en arborescence est particulièrement efficace en recherche de solutions. Là où la pensée séquentielle, traditionnelle, enchaine une idée après l’autre de façon linéaire, la pensée d’Éric explore simultanément et parallèlement de nombreuses pistes de réflexion. Cela se fait naturellement et inconsciemment. Le travail est extrêmement rapide au point que la solution semble s’imposer d’elle-même. Cela explique ses prises de décisions rapides.
« Sa pensée est systémique : les données sont analysées dans leur contexte. Elle est holographique: la partie est dans le tout et le tout est dans la partie. Elle fonctionne en boucle rétroactive et non pas en causalité linéaire. Elle tient compte de la subjectivité ambiante et de l’incomplétude : une pensée complexe n’est jamais parfaite, ni même achevée, mais au contraire en constante évolution« .
En gros, l’effet d’une action ou d’une pensée peut agir sur sa cause.
« Cette pensée à un fonctionnement proche du GPS: seul le but est fixe, les moyens restent en permanence flexibles et sont sans cesse réévaluées et ajustés ».
Sauf que l’analogie n’est pas exacte. Car le but lui même est flexible. Seules les valeurs humaines sont immuables.
La pensée complexe n’est pas hiérarchisée parce que aucun élément ne contrôle le système. De facto, on comprend mieux pourquoi Eric a du mal à intégrer la notion de hiérarchie.
En revanche, ce mode de pensée en arborescence provoque des états d’euphories et des coups de déprime aussi brutaux qu’inattendus.
J’ai vu mon ami passer du rire aux larmes de façon si rapide que j’en ai été désarçonné de nombreuses fois. Éric, comme la majorité des surefficients mentaux, se sent différent et incompris depuis l’enfance. Il souffre d’un vide identitaire. Comment se faire une idée précise et positive de qui on est et de ce que l’on vaut quand l’entourage n’y comprend rien? À longueur de journée, les enfants surdoués se heurtent aux limites des autres.
Depuis l’adolescence, Éric me répète qu’il n’est pas très intelligent. Ses notes ne sont pas terribles. Il procrastine plus qu’il n’étudie. Il souffre d’un déficit d’attention mais en réalité « il s’ennuie ». « Franchement, ces cours sont insoutenables ». C’était sa réplique, courante, sûrement parce que la simulation était trop faible. Inintéressants sans doute. Sans intensité de toute évidence.
Nous avons 39 ans
Nous nous rejoignons dans un bar. Il sort du boulot. Il vient me voir et me balance tout de go : « J’ai trouvé ! Soit je ne suis pas très intelligent et la majorité des gens sont idiots – ce qui est fort probable -, soit je suis hyper intelligent et je viens de m’en rendre compte ».
Éric a beau avoir vécu plus que la majorité des gens de son âge, son estime de soi est à la mesure de sa propre valeur. Elle joue un rôle crucial sur la santé morale et physique des individus. Une mauvaise estime de soi, c’est la dépression, l’anxiété, l’alcoolisme et d’autres comportements additifs et compulsifs. Nous vivons dans une époque de la pathologisation des états d’âmes où la différence est stigmatisée du fait des étiquettes apposée sur les enfants au plus jeune âge.
Fort heureusement, mon ami a eu une famille aimante, des amis proches et une réussite professionnelle même si ces derniers temps, il se plaint beaucoup.
Un self-service sur mesure

Éric n’est pas né avec un ego démesuré. Comme je l’ai dit plus haut, il souffre d’un vide identitaire psychologique. Pour pallier ce risque de rejet, il s’est construit un « faux self », un « faux moi », une sorte d’identité qui lui permet de s’adapter à la vie en société. Nous en avons tous un. Dans son cas, son véritable Moi est bâillonné dans une cave au fond de son cerveau au bout d’un tunnel d’angoisses : la peur d’être rejeté et abandonné, la tristesse d’être seul et incompris, la colère de ne pouvoir être soi.
Si cela était vrai au début de sa carrière, il semblerait que contrairement à beaucoup de surefficients, Éric ait pris le parti de laisser une grande partie de sa personnalité jouir de sa liberté.
« Je suis journaliste, et donc une courroie de transmission entre les Sachants et les non-Sachants. Mon boulot est de faire transiter l’information de façon le plus honnête. Dans mon travail actuel, ce n’est pas compliqué car je suis devenu une courroie de transmission à sens unique, des puissants vers le peuple. Cela me débecte. Mais je n’y peux rien. Du coup, je m’ennuie énormément, car une grande partie de mon boulot consiste en une répétition de tâches robotique que l’intelligence artificielle pourra, je l’espère, exécuter un jour. J’ai pallié ce manque de difficulté en utilisant mon temps libre pour écrire des livres, aider des amis dans leur communication, de voyager en moto et plein d’autres choses ».
Son problème d’intérêt pour sa tâche quotidienne l’a beaucoup affectée au début. « J’étais triste. Je buvais beaucoup le midi ou le soir. J’avais le cerveau en effervescence, je ressassais les mêmes questions. J’étais malheureux. Maintenant que j’ai réussi à pallier ces manques, je suis totalement épanoui. Tant pis si je perds de l’intérêt pour mon travail. Cela reviendra. Tout est cyclique. Pour le moment, mon rêve, c’est de devenir écrivain et, pourquoi pas, de me lancer en politique ».
Pour tenir le coup, Éric a dissocié ses envies réelles, son moi profond, de l’attente de sa hiérarchie. Cette dissociation peut avoir des effets pervers. Autrefois journaliste courageux et volontaire, Éric ne fait plus que le strict minimum à son boulot.
« On me demandait de trouver des idées de sujets, d’être volontaire. Alors je proposais. J’avais envie. Puis, on m’a expliqué que j’étais un exécutant. Je suis journaliste, pas ouvrier sur une chaine de pneu. Cela m’a profondément touché. J’ai pensé à tous mes confrères partout dans le pays qui avait peut-être été relégué à des exécutants. C’est à cause de mots comme cela que les Français ne font plus confiance dans les médias. Personne ne peut avoir le monopole des idées. J’ai été sonné. J’ai donc décidé de prendre sa décision au pied de la lettre. Désormais, je ne ferais que ce que l’on me dit. C’est à partir de ce jour que j’ai décidé d’occuper mon temps de cerveau disponible à d’autres taches plus épanouissantes ».
Dans son domaine, Eric a démontré une certaine capacité à l’efficacité, mais cela dépend des situations. « Quand je suis en train de tourner un sujet, je suis hyperconcentré, mais il faut que ca aille très vite. C’est comme si ca me mobilisait beaucoup d’énergie. Lorsque je fis des sujets sur la précarité par exemple, la vitesse me permet de mettre à distance toutes les informations parasites. La vitesse me permet de mettre de la distance avec toutes les informations parasites. SI je me laisse happer par ces informations, c’est foutu. Je n’arrive pas à me remettre dedans. A ce moment là, c’est comme si mon cerveau se mettait en mode veille. Je n’intégre plus que le minimum d’informations vitales ».
La communication
Et le coeur

Eric est un professionnel de la communication. Il travaille dans un grand média. Il rapporte des informations. Il les répercute. Et pourtant, il s’exprime comme un endimanché mal réveillé. Je me souviens d’une conversation qu’il avait eu avec une amie. Elle était précise, percutante sur un sujet émotionnellement fort. Dès qu’elle lui adressait la parole, il semblait complètement paumé. Il parlait, mais tombait systématiquement à côté de la plaque. Ce n’est que quelques jours plus tard qu’il m’expliqua.
« J’étais assourdi par sa présence, sa gestuelle, le ton de sa voix, elle n’allait pas bien, c’est comme si je ressentais tout ce qu’elle éprouvait. Il faisait gris, il y avait du vent. C’est comme si les mots passaient très vite dans ma tête. Je n’arrivais pas à exprimer clairement et précisément ce que je voulais dire. Je m’embrouilais. C’était confus. Elle comprenait de travers et je n’arrivais pas à dire ce que j’éprouvais. Je l’ai blessé sans le vouloir, je n’ai pas trouvé le bon mot ».
En effet, Eric n’a plus dit un mot, laissant la malheureuse en plein désarroi.
Selon les études, les livres, les blogs, il semblerait qu’il soit récurent que ce type de profil réponde à côté, ne comprenne pas la question qu’on lui pose. C’est parfois insupportable. On finit par penser qu’il s’agit d’une provocation. La discussion se bloque et se termine sous forme de reproche. Selon Jeannes Siaud-Facchin, les zèbres se perdent « dans sa pensée » et « conduit souvent le » zèbre « à passer par des détours pour cerner une idée. C’est parfois la seule solution pour tenter d’éclarcir ses propos ». « Le sens mis dans un mot, dans une tournure de phrase, n’a pas pris la même signification pour chacun ».
Si on prend en compte la charge émotionnelle de cette discussion, il existe forcément un lien tenant de l’ordre de l’ingérence émotionnelle. Eric nous dit qu’il était sensible à sa gestuelle, son comportement. « Le problème, c’est que j’ai du mal à être simplement avec quelqu’un dans une attitude simplement réceptive à l’autre. Par exemple, je passe la moitié de ma journée dans une salle de montage, loin de mes collègues. Mais souvent, lorsqu’il y en a un qui va mal, il vient se confier. C’est agréable. Ma salle de montage devient une sorte de confessionnal. Mais c’est comme si, à chaque mot, je vivais en même temps que l’autre, tout ce qu’il ressent et vit émotionnellement. Je suis perméable, c’est épuisant. Je sens que je fais du bien. J’écoute, j’échange, je fais rire et puis quand la personne part, je suis épuisée ».
Dans le cas de son amie, je suis persuadé que le trop plein émotionnel fragilise et brouille ses capacité d’analyse raisonnée.
La violence
Combien de fois ai-je vu mon ami se taire et exploser pour une broutille? Lui, qui est plutôt calme, explose souvent au moment le plus inoportun. Parfois pour une raison saugrenue, insignifiante, très espacée de l’élément qui le froisse réellement.
« Je me contiens, je me retiens, puis j’explose. Je deviens incontrôlable. C’est comme si je me voyais de l’extérieur, à la fois acteur et spectateur. La troisième dimension, en contre-plongée, en observateur de moi-même. J’anticipais ce qu’il allait dire, comment il allait se comporter, penser, ses émotions. Je suis tout rouge, je hurle, j’ai une haine violente qui explose. On dirait un diablotin qui sort de sa boite. La dernière fois, c’était chez mes parents, pour une histoire de plat en sauce. Franchement, je n’ai rien contre la blanquette de veau. Mais mon frère m’avait pourri mon anniversaire l’an passé. Je ne l’avais pas revu depuis. Et je me suis laissé emporté par ce truc qui avait pris racine en moi et qui grandissait sans que j’y prête une attention particulière. En fait, c’était des années de non-dits qui germaient ».
Des histoires comme celle-ci, il en a plein : boulot, vie familiale, amitiés….
« C’est un trop plein d’émotion. Je n’arrive plus à le canaliser, et encore moins à le réguler. Je réagis trop fort même face à des petites choses. Je me contiens beaucoup tout simplement parce que j’essaie de mettre à distance toutes les émotions qui m’assaillent en continu. Je suis vite blessée, touchée. Une remarque anodine peut déclencher des bouffées d’émotions virulentes. Pour moi, me désinteresser des choses, faire comme si elles ne me touchaient pas, me désangager, intellectualiser, me permet de faire baisser la charge, de retenir les larmes qui montent. Mais quand je n’y arrive plus, la digue se fissure et là, c’est le tsunami ».
Pour avoir été la victime de l’une de ses digues brisées, j’ai pu constater qu’il est quasiment impossible de lui faire retrouver son calme. Tenter de le raisonner, de parler, a peu d’impact. La seule possibilité c’est d’attendre. Sans rien dire, ou en disant des choses neutres. La discussion ne peut venir que dans un second temps. C’est triste. Peut-être stupide. Mais c’est ainsi…
A la recherche de soi

Heureusement, Eric n’est pas d’une nature violente. Il est violent envers lui-même, mais ce n’est pas irreversible. Fort heureusement ! Sinon, il vivrait un enfer. Et les 5-15% de gens comme lui seraient de dangereux psychopathes.
Si l’on reprend rapidement la singularité de son caractère, on pourrait facilement lui attribuer des termes tels que « marginale », « rebelle », « idiot »… Bref, un jeu de miroirs qui lui renvoie un reflet dicté par les 85% autres.
Alors, quel est ce reflet? Il le cherche. Son identité profondement enterré dans son faux-self. Il a besoin, comme nous tous, de comprendre qui il est, comment il fonctionne, pourquoi on l’aime, pourquoi il est rejeté, quelles sont ses vraies limites. C’est légitime. Nous avons tous besoin de connaitre notre noyau identitaire. On avance dans la vie avec des certitudes, des convictions protectrices et rassurantes. Les choses doivent être faites comme ceci ou cela. D’autres s’interrogent en permanence, sur tout, sans cesse, sur le monde, son état, réagissent à la moindre variation de l’environnement, reprennent sans relâche le commencement de toute chose pour être bien sûr d’en avori compris le sens profond. J’oserai le parallèle avec le texte « Ecrire » de Charles Aznavour :
« Imposer sa vision des choses et des gens
Quitte à être pourtant maudit
Aller jusqu’au scandale
Capter de son sujet la moindre variation
Explorer sans relache et la forme et le fond
Et puis l’oeuvre achevée, tout remettre en question
Déchiré d’inquiétudeSouffrir, maudire
Réduire l’art à sa volonté brulante d’énergie
Donner aux sujets morts comme un semblant de vie »
« On m’a récemment dit que j’étais psychorigide. J’étais stupéfait, car je suis bordélique comme pas deux, que je pense à plein de choses en même temps, que je mets 10 minutes tous ces putains de matin à retrouver mes clefs de moto, je me suis demandé si l’inquisitrice me connaissait si bien que cela. Je ne pense pas être rigide. J’ai beaucoup de barrières forgées soit pas conviction comme l’injustice ou bien délimités par le mode de vie imposé par ma moitiée.
« Sans forcément parler de psychorigidité, les spécialsites parlent de rigidités. A l’âge adulte, la personnalité sera construite de façon bancale, sur des rennoncements et des blessures, sur des croyances erronées sur soi et sur le monde, ou sur des mécanismes rigides dressés pour se protéger de son intense vulnérabilité. Chaotique, inconfortable, sinieux, leur parcours adulte est souvent troublé. L’ingérence constante des émotions particpe au tumulte de la pensée. Il en résulte un mode de fonctionnement qui peut apparaitre rigide, tendu vers la concision, vidé de toute consonance émotionnelle. Il faut bien comprendre que c’est un mécanisme pour se protéger, pour poser un cadre rassurant, pour ficer des limites à cette pensée débordante. Alors dans le discours, dans le comportement, ces mécanismes vont prendre diverses formes : la recherche de la précision absolue, du sens exact de chaque chose, le besoin de fermer le champ des possibles, de restreindre les hypothèses floues… A l’initiative de ce fonctionnement, il en est parfois la victime impuissante. Il peut apparaitre comme une personnalité froide, suffisante, au discours cassant, arrogant. Derrière ce masque, un être sensible et vulnérable qui s’acharne à cacher sa profonde fragilité, sa véritable personnalité ».
« On m’a dit : pour toi, tout est blanc ou noir. C’est vrai que j’ai du mal à considérer les nuances des opinions. Ce qui est ironique quand on sait que j’adore les nuanciers de couleurs ».
Eric fonctionne beaucoup par dichotomie. Il veut LA vérité, car pour lui elle existe forcément. Avec le temps, j’ai compris que la nuance, c’était laisser la place au doute, et le doute inquiète Eric. « Vu que j’ai du mal à choisir, avoir des certitudes me facilite la vie ». Apporter des nuances demande du temps, de la concentration, un accompagnement. Et une fois qu’il accepte ce mode de fonctionnement, il remet tout le travail sur la table et il faut recommencer jusqu’à ce que enfin, ca pénètre.
L’humour
L’humour d’Eric, je l’ai dit, est foisonnant. L’humour, rappelons-le, est « une forme d’esprit consitant à décrire les imperfection de la réalité de façon drôle ». Le panel de l’humour est vaste. On décompte pas moins de 63 synonymes : « badinage, balivernes, bon mot, bouffonnerie, boutage, calembour, facétie, farce, galéjade, plaisanterie, raillerie, dérison, ironie, quolibet, pique, sarcasme, satire, humour noir, caricature, parodie, exagération…. ».
Il cite régulièrement Twain : « C’est par la grâce de Dieu que nous avons ces trois précieuse choses : la liberté de parole, la liberté de penser et la prudence de n’exercer ni l’une ni l’autre. »

“The humorous story depends for its effect upon the manner of the telling; the comic story and the witty story upon the matter. The humorous story may be spun out to great length, and may wander around as much as it pleases, and arrive nowhere in particular; but the comic and witty stories must be brief and end with a point. The humorous story bubbles gently along, the others burst. The humorous story is strictly a work of art, — high and delicate art, — and only an artist can tell it; but no art is necessary in telling the comic and the witty story; anybody can do it. The art of telling a humorous story —- understand, I mean by word of mouth, not print — was created in America, and has remained at home.” Mark Twain
« Il y a une différence dans l’humour. On peut les classer en trois sous-partie. D’abord l’ironie qui est une clairvoyance. Elle est mordante. Elle est une mésentante avec la vie réelle. Le cynisme est moins glorieux et représente tout à fait l’état d’esprit de notre contemporainité bien loin de la définition de Diogène. Le cynique est insolent et est contraire aux conventions sociales, aux règles morales. Dans une société ou tout est cynique, c’est un humour assez faible. Et enfin l’absurde, mon préféré, qui est contraire au sens commun, insensé, qui viole les règles de la raison, qui viole délibérément les raisons de cause à effet aboutissant à des conclusions, des comportements illogiques ».
Woody Allen, Will Ferrell, Mark Twain, Perlman, Wodehouse, Sharpe, Tool, Page, Erre, Cuppy, Topor, Leacock… Eric glane sans cesse les auteurs répondant à son besoin maladif d’engrenger des livres. « La première fois que j’ai lu Woody Allen (Dieu shakespeare et moi -« Non seulement Dieu n’existe pas, mais essayez d’avoir un plombier le week-end ! « , » Pour qui aime, la personne aimée est toujours la plus belle de toutes, même si un étranger ne peut pas la distinguer d’un banc de sardines »), j’ai été subjugué par le niveau d’aburdité. Il correspondait totalement à mon état d’esprit et à ma façon d’appréhender les choses ». Puis, il a rencontré Mark Twain. « On ne le connait en France que pour Tom Sawyer ou Hulk, mais en réalité, c’était un pamphlétaire coriace. Ses écrits prennent racine dans la stagnation nauséabonde des intellectuels d’aujourd’hui. Son sens de l’anticlérical confond Dieu et ses ouailles dans leur propre illogisme. Il possède un sens de la justice et moral sans équivalent. Il attaque sans relache l’oppression, l’esclavage, l’hyprocrisie et la bêtise ( » Sa vie était difficile, mais il ne le savait pas. « , Dieu a créer la guerre pour que les Américains apprennent la géographie »).

La vérité? Eric tourne les choses de la vie en dérision, envisage les situation sous une forme risible, détourne les paroles blessantes en mot d’esprit, tire toutes les ficelles de l’humour. POurquoi l’humour? Parce que c’est une habile manipulation des émotions qui deviennent transissibles sous une forme correcte et appréciée. C’est aussi une forme de mise à distance. Une transofmration de la menace émotionnelle en atout de personnalité.
La vie sociale

Depuis qu’il est tout petit, Éric se sent en décalage avec les autres. Sa vie sociale, ses centres d’intérêt et les conversations « normales » l’ennuient profondément comme si cela l’éloignait de ce qui est réellement important. Avec l’âge, ce rejet est devenu quasiment viscéral.
Adolescent, dans les soirées, il s’est produit un décrochage à l’intérieur de lui-même. Il se demandait ce qu’il faisait là et pourquoi les autres semblaient prendre autant de plaisir à une soirée vaine et superficielle. Toute la gaité ambiante lui semblait factice même s’il était le plus amusant de la bande. Il manie avec dextérité l’absurde, l’ironie et parfois le cynisme. À 15 ans, à l’âge où le corps prend le contrôle, la recherche perpétuelle de la séduction et des émois adolescents ne le touchaient pas. Il rentrait chez lui.
Éric n’était pas un excellent élève. Quand il partait à la fac de droit, il emmenait sa planche de surf ou ses raquettes de tennis. Il disparaissait et revenait un jour ou deux plus tard à la fac en roller. Il s’était lancé dans le droit pour lutter contre les injustices. Mais quand nous avons commencé à nous grimer en avocat avec les tenues « officielles », en noir, avec des souliers vernis pour marquer notre ascension intellectuelle, il s’est senti une fois de plus d’un autre monde. Éric était à nos côtés. Mais sans y être.
De l’hypersensibilité à l’hyperlucidité: ce besoin de justice
Éric est un hyperhestésique. Il ressent les choses plus fort que la moyenne ce qui l’a rendu parfois très sensible à certaines situations.
« Quand j’ai commencé ma carrière, des gens se sont immolés devant moi. Leurs amis m’ont tiré par le bras en me demandant de filmer cette chose insoutenable. Je voulais éteindre ce type. J’ai rapidement vu qu’un policier sautait par dessus un barrière en retirant son manteau. J’ai compris en l’espace d’une seconde que chaque chose était à sa place. Les flics allaient tenter de sauver ces gens. Les personnes immolées voulaient faire passer un message -celui d’une Iranienne interpelée et retenue à la DGSE – et moi, mon rôle, c’était de raconter cela. J’ai fermé l’oeil gauche et j’ai regardé la scène via le prisme de la caméra avec l’autre oeil. À l’époque, l’oeilleton ne renvoyait qu’une image en noir et blanc. Ça m’a permis de me protéger même si l’odeur de la peau fondant m’a rempli le nez pendant plusieurs jours. Quand j’ai pu regarder à la scène, j’ai vu la peau fondue, verte, sur les victimes ».
Éric me raconte cela comme s’il me lisait une liste de courses de supermarché. Mais il me raconte également « qu’il perd la mémoire » (nous y reviendrons plus tard).
Le cerveau des surefficients est régi par l’affectif. Aucune situation ne peut en faire abstraction. Ils ont un tel besoin d’affection, d’encouragements, de chaleur humaine, de contacts et de câlins qu’ils ont besoin d’un univers serein et positif.
Ayant un ego très faible, ils sont souvent maladivement sensibles au jugement d’autrui.
Dans son enfance, Éric n’avait pas confiance en lui. Élève moyen, il s’était forgé une carapace qu’il a su construire méthodiquement, pierre par pierre. Il y a eu le sport, bien sûr individuel, comme le tennis ou le surf. N’étant pas capable de s’adapter au monde, il a trouvé un moyen de fusionner aux éléments au travers du surf et de se confronter aux autres au travers du tennis. Quand nous jouions avec les copains au football, il n’en connaissait pas les règles – il ne les connait toujours pas -. Aujourd’hui qu’il vit à Paris, il est incapable de prendre les transports en commun, car il y perçoit trop de choses – bruit des conversations, du train, des frottements, des téléphones, des sièges pliants, odeurs, textures, etc. -. Là où il diffère des gens normaux, c’est que ces sentiments sont exacerbés. Il a donc opté pour la moto, un moyen de locomotion individuel, certes bruyant, mais où sa cognition lui permet d’anticiper les dangers au travers d’une paranoïa sans limites. À son bureau, il ne supporte pas la présence de ses collègues. Non pas parce qu’il ne les aime pas, mais pour les mêmes raisons susmentionnées : tout est trop. Quand il y a un ordre direct, le chemin le plus court est la ligne droite. Avec Éric, tout prend des chemins de travers. Pour aller de a à B, il passera par toutes les lettres de l’alphabet avant de juger si oui ou non l’ordre est logique, légitime, et le meilleur moyen d’obtenir le résultat le plus efficace. Éric possède un cerveau en arborescence.
L’hyperlucidité d’Éric, vous l’aurez compris, vient d’une partie de ses sens hyper développés. Avec le temps, pourtant, il dit voir moins bien, entendre mal, ne plus gouter les choses. Et pour cause.
Les psychologues expliquent ce revirement par l’inconscient. Le cerveau est construit de telle manière qu’il y a des « trous » dans notre mémoire. On a tous des exemples de moments dans notre vie où l’on a oublié alors que le moment en question est « mémorable ». Pour vivre normalement et ne plus subir la mise à l’écart de la plupart des gens, certains surefficients mettent leur mémoire et leurs sens en veille pour rendre le quotidien plus supportable.
Une soif d’absolu et le refus de l’autorité

Éric revient d’une zone où les migrants en provenance de Syrie sont parqués. Il y voit des enfants crasseux et des familles détruites ayant fui leur pays entouré de CRS dont la mission est de déplacer ces réfugiés. Il m’appelle furieux : « je ne peux pas croire que ce monde soit aussi pourri ».
Bonne conscience politique?

Comme tous les sureffiscients, Éric est un utopiste. Son système de valeur est composé d’absolus au haut duquel se trouvent la justice, la franchise et la loyauté. L’hypocrisie, les non-dits, la lâcheté, les rituels stupides sont à l’encontre de leur nature bienveillante, compréhensive et emphatique. Éric a tendance à devenir intransigeant quand on parle de ces thèmes. Son système de valeur, comme celui des autres surefficients mentaux, n’est pas fait pour être nuancé, car la nuance affaiblit le propos et devient vite une invitation perverse à une dérive sournoise.
C’est pour cela qu’Éric a du mal à respecter ses diverses hiérarchies. Le système de valeur des normopensantes laisses la part beau à plus de nuances : jalousie, jeux de pouvoir. Chez Éric, il n’y a que la droiture qui est respectable. Il ne se laisse impressionner que par la droiture, le courage et une compétence avérée qu’il applaudit vivement.
Si son mode de pensée peut étonner et faire penser qu’Éric possède un ego démesuré mais en réalité il est plutôt humble. Lorsqu’on lui demande quel est son métier, il répond journaliste ce qui rend son interlocuteur souvent admiratif. Il relativise à chaque fois pour ne pas que son interlocuteur soi dans une position désagréable: « journaliste ce n’est rien contrairement à mecanicien, horloger, ou ouvrier. Le travail manuel permet aux deux encéphales de communiquer. Un mécanicien doit cerebralement la cause d’une panne puis utiliser son corps et ses mains afin de rétablir le fonctionnement du véhicule. En cas de panne pas franche sur un véhicule obsolète, il doit fouiller, enquêter auprès d’autres mécaniciens afin d’en établir la cause. On est dans une forme d’investigation, de recherche ou la mémoire prend tout son rôle. A ce moment, le taylorisme n’a alors plus d’impact sur sa profession. Alors que cette même notion du travail découpé sclorose de plus en plus le monde des intellectuels et des cols blancs. Un mécanicien spécialisé dans la réparation des vieux véhicules utilise mieux son esprit que moi ».
Il possède le même comportement pour le standardiste que pour le directeur. Cette humilité n’est pas percue comme telle par les gens habitués aux courbettes et à la déférence. Pour Éric, il ne suffit pas d’avoir la casquette du chef, encore faut-il être compétent et donner des ordres intelligents, si possible en y mettant les formes. D’autre part, le respect de la voie hiérarchique n’a pas de sens pour les surefficients mentaux. Ce comportement est insécurisant pour la majorité des employés qui s’appuient sur la hiérarchie pour trouver leur place et leur légitimité.
Mais s’il existe des surefficients comme Éric, qui sont les autres?

Si les surefficients ont l’hémisphère droit plus développé, l’autre partie de la population a le câblage inverse, soit environ 70 à 85% de la population.
On les appelle des normopensants. Leur principale caractéristique c’est qu’ils sont hype esthésique, c’est-à-dire qu’ils ont leurs 5 sens moins développés. Leur inhibition est latente, elle fonctionne en mode automatique : tout ce qui est inutile ou dérangeant est zappé sans effort. Cela permet de rester concentré sur ce qui est pertinent. Ils ne se laissent pas distraire par l’environnement. Par exemple, leur cerveau isole le son de votre voix qu’ils entendent très bien dans le brouhaha. Ils vous écoutent sans fatiguer à condition que votre discours soit adapté à leur structure mentale linéaire. La musique n’est jamais trop forte au point de les déranger. Ils aiment les odeurs synthétiques, les pancartes, les éclairages presque partout.
Le reste en découle. Moins attentifs, ils ne tiennent pas compte des intonations ni des mots prononcés, moins chargés de sens pour eux que pour vous et ne lisent pas le langage non verbal. Si vous attendiez d’eux qu’ils vous devinent à demi-mot : c’est raté !
Leur mode de réflexion est séquentiel, il avance noeud par noeud et parfois, pour arriver au bout de leur raisonnement, il y a une longue corde avec plein de noeuds. Éric et les autres doivent attendre. Car si vous essayez de sauter des étapes pour aller directement au bout de la corde, votre interlocuteur va attendre plus ou moins patiemment que vous ayez fini votre digression pour repartir dans son raisonnement, sur sa corde à noeuds, là où vous l’aviez interrompu. Ce mode de pensée séquentiel est parfait pour l’apprentissage scolaire. Il n’y a pas de risque d’éparpillement et permet de savoir par coeur.
Le monde affectif

Le monde d’un normopensant est moins intense que celui d’un surefficient. Les relations de surface qu’Éric fuit leur suffisent. Pour leur plaire, il suffit de parler de choses banales, anodines, d’échanger des idées consensuelles et se retrouver juste pour le plaisir d’être ensemble. Les normopensants aiment les groupes et la foule. Les idées trop révolutionnaires les choquent ou les braques.
Pendant la campagne présidentielle de 2018, Éric suivait les hommes politiques de tout bord. Il m’a raconté ses reportages avec Marine Le Pen, avec François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon.
Après plusieurs mois, il m’a dit qu’il allait voter Benoit Hamon. Pourquoi? À cause de son idée de revenus universels et son idée de taxer les robots.
Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, l’idée du revenue universel refait surface, mais cette fois dans la bouche du banquier ! Et les Chinois connaissent leurs premières périodes de chômage à cause de… l’Intelligence artificielle et la robotisation des usines. Comment les ouvriers du monde entier vont-ils gagner leur vie si ce sont des robots qui gagnent de l’argent? Éric avait peut-être vu juste;
Les normopensants critiquent beaucoup, car pour eux critique ce n’est pas rejeter, mais aider à améliorer. Éric supporte mal les ambiances de basse courts. Alors il a trouvé la solution : s’isoler dans une salle de montage et lorsqu’il en sort, il s’adapte grâce à cette fameuse dissociation.
En revanche, les normopensants ne voient pas les choses en noirs et blancs, ils tempèrent les effusions des gens comme Éric.
Comment vivre sous le jugement des normopensants?
« Tu es trop immature, trop instable, trop naïf. Tu te compliques trop la vie. Tu es trop émotif ».
Voilà les critiques les plus souvent balancées par les normopensants vers les surefficients. Le mot trop. Ce « trop » qui est dans la nature profonde des surefficients se retrouve dénigré par 85% de la population. Alors forcément, Éric doute parfois.
« J’ai beau me plonger dans mes rêves, m’occuper l’esprit, bouger dans tous les sens, on me rappelle en permanence que je suis « trop ». Même en s’isolant, je n’arrive pas à me protéger comme je le souhaiterai, car il me faut des interactions sociales».
Emplis de certitudes, les normopensants assènent leurs croyances simplistes comme des vérités immuables. « Il faut travailler dur dans la vie pour réussir ». « Une de perdue dix de retrouvées ». « La vie continue… ».
Ne plus y penser? C’est impossible ! Éric a un turbo réacteur dans la tronche tandis que le neuropensant roule au diesel.
L’Amitié : une famille d’âmes
Éric pense avec le coeur, tout est teinté d’affectif. Je le connais depuis maintenant trente ans. Il formé autour de lui une petite communauté de gens qui pensent en arborescence comme lui. Des géotrouvetous du bricolage, des journalistes, des architectes, des musiciens, un blogueur. Des professions artistiques principalement. Des amis qui ne lui ont jamais demandé « pourquoi tu dis ça ». Le problème, ce sont les déceptions affectives. Eric place l’amitié en si haute estime qu’une déception peut vite arriver. C’est pourquoi il s’enferme dans une sorte de solitude.
L’adolescence et la peur d’être amoureux
« Elle s’appelait Laëtitia, ca veut dire bonheur en latin. Elle avait de grands yeux verts, un joli sourire. Elle était première de la classe. Moi, je devais être dans les derniers. Elle me plaisait. J’avais 17 ans. On ne peut pas dire que les filles m’intéressaient des masses. Honnêtement, avant elle, je préférais aller jouer au tennis, surfer, me dépenser, faire des films sur le vieux camescope de Reno, écrire des histoires. J’ai mis du temps à m’intéresser aux filles ».
Eric n’était pas vraiment du genre précoce. Son premier baiser, c’était sur un malentendu à la patinoire, à 14 ans. Mais il n’y avait aucun sentiment. Les sentiments, il les fuyait.
« Etre amoureux, ca suppose laisser émerger ses sentiments et ses émotions. C’était précisément ce que je combattais. J’avais peur de une vague d’émotion que je ne pouvais plus contrôler. Je refusais de me dévoiler. Je trouvais cela impudique. Les copains sortaient tous les samedis en boite, avec une bande de trois amis que j’ai encore aujourd’hui, on créait des choses. Et quand on allait avec les copains, eux ne pensaient qu’à serrer des filles. Nous non. Pourtant, cela aurait été facile. J’ai toujours abordé les gens via le prisme de l’humour, c’est un mécanisme protecteur et de communication « .
Ses copains, c’était la grande bande. Pas celle des beuvries, des joints, des gueulards. Eric partageait des moments avec ceux-là, mais il y avait toujours une distance avec cette masse. « Leurs sujets d’occupation ne m’intéressaient absolument pas. Honnêtement, je faisais un effort incommensurable pour m’adapter, mais j’avais bien compris qu’ils étaient majoritaire dans l’école et dans notre groupe d’âge. J’ai donc essayé de passer du temps avec eux. J’étais toujours le premier à partir. Ils me servaient de support identificatoire mais me renvoyaient à une forme de solitude douloureuse. Laëtitia ne faisait pas partie de ce groupe. Elle sortait entre filles. Et cela aussi me désarconnait beaucoup. Parce que ses soirées n’étaient pas non plus passionnantes : boites de nuit, danse. Et toujours dans la même répétition. FInalement, son groupe et le miens vivaient leur adolescence en miroir, chacun dans son sexe. Et moi j’étais au milieu ».
Dans ce groupe, il y avait un sous-groupe. « Quand j’ai rencontré Reno, c’est comme si je me rencontrais moi-même, en plus abouti. Il y a eu une familiarité immédiate entre-nous. Pourtant, on s’est rencontré dans une manifestation anti-CIP en 1995. Je me souviens parfaitement de notre rencontre. Il faisait grand soleil, j’étais déjà en moto, lui aussi. On avait chacun notre groupe et on était les rigolos de service. Aujourd’hui encore, on se voit, on discute jusqu’à étouffer un thème. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’autre comme lui, avec ce tel niveau de perception de l’âme humaine. D’ailleurs, il en a fait son métier ».
Et Laëtitia dans tout cela?
L’histoire aura durée 3-4 ans je crois. Très vite, Eric s’est rendu compte que cela ne marcherait pas. Aussi adorable qu’était mon ancienne meilleure amie. Lorsqu’il s’est mis avec elle, il a revêtu une panoplie de masques. Il avait réussi cet exploit qui finirait par se retourner contre lui de repérer par son sens développé d’empathie ce qu’elle ressentait, ce qu’elle attendait de lui et s’était alors construit une personnalité totalement à l’image de ce qu’elle attendait de lui. Il avait besoin d’être protégé et se montrait prêt à tout. Quand la rupture fut consommée, Eric était au fond du sceau. Et pourtant, je suis certain qu’il ne l’aimait pas. Il pensait qu’il l’aimait. Mais le résultat fut le même. Laminé. Adolescence : clap de fin.
Le sureffiscient et l’Amour – avec un grand A – comme Adulte

Eric me retrouve pour le week-end dans ma maison en bord de mer. Comme d’habitude, il ne sonne pas. La porte est ouverte. Il entre. Je ne l’entends pas. Je regarde l’horizon. Il ne fait pas de bruit. Comme pour ne pas briser ma contemplation, il se met à côté de moi. On observe le silence. Puis il me dit : « que regarde un homme quand il ne regarde rien? La totalité de sa vie? Son bloc d’enfant bavard? Qu’est ce qui apparait dans ces moments rêveurs? ». Par ce fait, il me tire de ma contemplation. Je le regarde incrédule. Son regard fixe un point lointain. « Nos yeux sont fait de tous petits carreaux de faïences, certains brisés, avec dessus le bleu des premiers jours. Peu importe l’époque de notre vie, l’amour sauve ce qu’il voit. Il n’y a aucune différence entre voir et écrire. « .
Je ne comprends pas bien, mais je trouve l’idée jolie.
Et cela pose la question de l’Amour.
Comme beaucoup de sureffiscient, Eric est un grand sauvage. Avec le temps, il lui est difficile de se lier affectivement avec une femme. « Plus jeune, je me lançais à coeur perdu dans des histoires souvent longues. J’y mettais toute mon énergie, même lorsque je savais pertinemment que j’allais tomber dans un gouffre ». Et cela, même lorsque je voyais bien que ces histoires n’avaient aucun sens.
Eric me l’a dit à de nombreuses reprises : l’amour est LE sujet dangereux pour lui. « Nous vivons à l’époque de Tinder, une quête émotionnelle permanente auto-alimentée et jamais satisfaite dont le but final est « vivons au jour le jour. Je ne supporte pas ce manque d’attachement, cette façon si légère de zapper les émotions. Je me sens décalé ».
Pour nous autres, l’amour est une chose naturellement fantastique et compliquée. Pour changer, Eric va complexifier la chose. Rappelons-le : ce n’est pas par plaisir qu’il le fait, mais parce que son hémisphère droit prend le dessus sur le gauche, ce qui crée une pensée en arborescence liée à la créativité. L’amour est donc une grande oeuvre artistique à accomplir. Il ne peut pas imaginer l’échec de sa création et donc de la relation avec la femme qu’il aime.
« Annie sautille comme une enfant. Elle est légère comme une bise et brûlante comme le siroco. Quand elle te parle, elle t’enveloppe d’une intelligence baignée d’humour. Quand je me ferme, elle contourne et trouve toujours une brèche. Elle y arrive si facilement. Elle me fascine ».
Comme beaucoup de surefficients, les sentiments d’Eric sont exaltés, son attachement absolu.
« L’amour est une refonte du temps, avec des rythmes et des rites bien établis. Les rites, ce sont les étapes, les ententes, les phases de compréhension de l’autre. En dehors de toute considération sociale ou religieuse, c’est devenue une discipline de l’existence individuelle. Ces rites arrachent à l’insignifiance de l’existence. Ils créent des habitudes, des réflexes cognitifs qui ont nuls besoins réelles d’être une sorte d’établi obligatoire. Comme si la construction amoureuse devait se faire sur le modèle d’une échelle. Premier verre : premier échelon. Second rendez-vous : second échelon. Et cela jusqu’à ce que l’on tente d’atteindre le dernier échelon. Dans ma relation à l’autre, j’ai du mal à construire selon les étapes « normée » d’une société qui se veut rebelle mais qui est d’une médiocrité crasse. Parfois, je peux paraitre tyrannique, étouffant alors que je n’ai pas le sentiment de l’être. J’ai du mal à ne pas être trop entreprenant, trop affectif, trop exalté ou bien à l’inverse trop froid ou bien trop engagé. J’ai bien conscience que cela peut désarçonner quitte à paraitre anormal. Pour moi ce n’est pas le cas. Je tache de me soigner pour rendre la vie des autres plus « supportables ».

Si l’amitié peut être destructeur, l’amour contrarié ou raté est dangereuse. Selon Petit-Colin, de nombreuses études démontrent que les personnes sureffiscientes sont plus touchées par les processus destructeurs tels que la dépression existentielle. La cause : la douleur engendrée par l’échec atteindrait des niveaux intolérables pour leurs 5 sens exacerbés.
« C’est comme si vous tombiez du haut d’une montagne sans jamais toucher le sol, avec ce haut le coeur permanent, cet espoir d’attraper une branche inexistante. Vous tachez de vous concentrer sur votre travail, mais vous êtes incapable de ne penser qu’à une seule et unique chose. Par exemple, quand je n’avais plus de nouvelle depuis plusieurs jours de L. et j’arrivais au boulot, cela pouvait donner sur une minute : « Il est 9h. Josiane doit être dans les transports. Trop de monde dans les transports, trop de bruits. Ma moto fait un drôle de bruit. Josiane ne fait pas de drôle de bruit, j’aime son souffle. Je pourrais lui parler dans les transports rien que pour sentir son odeur. Je dois aller à l’Elysée. J’aime pas aller à l’Elysée. Josiane Irait à l’Elysée? Si je tourne à droite j’irai plus vite. Je suis nul. Pourquoi aller plus vite? Si je vais plus vite, j’aurai un accident. Il faut trop beau, trop chaud, les gens vont conduire n’importe comment. Si il faisait plus frais, la route serait moins dangereuse. Josiane me manque. Elle pense à moi? J’ai envie de pleurer. Je ne pleurerais pas. L’Elysée sous le soleil c’est horrible. Merde, je pleure. Ca hydrate les yeux? Ca tombe bien, il y a du pollen. Les larmes anesthésies les allergies? La salive est un puissante médicament : et si je me crachais dans les yeux, je ne ferais plus d’allergie? Josiane salive beaucoup. Je salive beaucoup. C’est quoi ce bruit? Ca vient du moteur? Comment faire pour s’auto-cracher dans les yeux? Un bi-cylindre c’est mieux qu’un mono-cylindre. Josiane c’était un bi-cylindre. La lumière est aveuglante. Il faut que je vois Josiane. Y a pas de nuages. Les nuages, c’est bien, ça filtre, surtout dans les grandes villes. Il faut que je boive. J’aime les lèvres de Josiane quand elle les pose sur un verre de vin. Elle frôle délicatement sa lèvres supérieure sur le verre. C’est une gamine. Je savais pas que j’adorais les gamines. j’ai faim. Et si je buvais un verre de vin? Quel cépage? Je n’ai pas le temps. Josiane a le temps? Du Saint Véran. Qu’est ce que le temps? Le temps est relatif à notre égo. J’ai mal à l’ego. Les légos font mal. Le temps est relatif à notre perception. J’absorbe mal la séparation. Un sopalin absorbe l’eau mais quid de la salive? Les codes relatifs à la perception varient en fonction de ton état, de l’état du monde, de la rotation de la terre, de ma capacité à absorber un élément à un instant T, de les enregistrer et de faire le lien entre tout cela afin d’extraire théoriquement, ou à défaut mon expérience, une solution. Merde. Il faut que j’appelle Josiane. Il faut que je rachète du Sopalin « .
Fatiguant cérébralement. Fatiguant pour les autres. Mais pour Eric, « la vérité n’est jamais dans le bruyant. L’amour comme le reste pose beaucoup de questions, on se demande pourquoi on vit, pourquoi on aime. Il n’y a pas de réponse. Et toute réponse abimerait la question ». Pour comprendre, il faut transposer. « L’âge m’a appris à lâcher la bride. Lorsque j’ai de tels doutes, j’essaie de m’auto-suffire mais c’est difficile. Il faut laisser l’autre respirer et soi-même respirer. L’absence ne doit pas être un moteur pour mon cerveau. Je travaille dessus en permanence. Quand il y a des difficultés dans le couple, c’est comme si mon corps se recroquevillait sur lui. Pour lui redonner sa place, il faut discuter. Il peut s’agir de peu de mot. Et si je suis seul, il faut que je focalise mon attention sur un thème autre. Si j’étais dépendant à des stupéfiants, c’est pile à ce moment là que je sombrerais dans les démons de la drogue ou de l’alcool. J’essaie de lutter ».
Dire qu’Eric, et par lui-même les surefficients, sont difficiles à vivre en couple, serait un raccourci total. « Comme tout le monde, il s’agit de trouver la bonne personne. Certains de mes amis ont une femme dites « normo-pensante », elle les rassure en les accompagnant dans un monde majoritairement normo-pensant. Elles les imbriquent dans un monde classique et rassurant. Les sentiments servent à enrober les difficultés. Cela a été mon choix pendant des années. Puis, j’ai trouvé une fille qui possède des caractéristiques qui me séduisent violemment : sauvage, drôle intelligente, tactile, rapide avec une curiosité humaine mais une presque incapacité à subir le bruit et la foule de façon répété. J’ai le sentiment d’avoir des discussions plus profonde avec elle qu’avec les autres. Il y a de l’intensité, de l’inspiration, une forme d’homogénéité dans les attentions et nos échanges. J’ai beaucoup de mal avec la notion d’abandon. Cela me parait simple. Je me trompe peut-être ».
Les surefficients doutent en permanence et ont tendance à mettre la charrue avec les boeufs. Bien content de ne pas être comme ca.
La playlist d’Eric
« L’an dernier, j’ai écouté 29,7 jours de musiques selon le rapport de Spotify. Je sais que la Silicon Valley détruit l’industrie du disque, vole les droits d’auteurs et que le format audio n’est pas optimum pour une écoute studio parfaite. Mais je n’ai pas trouvé de meilleur moyen pour assouvir mes besoins ».
Je lui ai demandé de me donner quelques titres phare s le touchant particulièrement. Il m’a envoyé une liste de 145 titres. Beaucoup trop. Je me suis donc concentré sur les titres en Français pour en tirer une dizaine. A ma grande surprise, je constate que certains parlent en filigrane, ou par répercussion, de la sureffiscience. C’est du moins mon avis. Mais à vous d’en faire votre propre analyse.
- Gael Faye – Solstice
« Ils comprennent rien les soumis, les idiots, les vulgaires
A la tristesse de l’Eden, aux clartés de l’Enfer
Il faut goûter son sang car le sang est esprit
On suicide un silence en accouchant d’un cri
J’habite un désastre sous la colère des Dieux
Où le monde doit s’éteindre pour qu’on ouvre les yeux
Et le vin à la bouche, et le coeur sous le pieu
On fera voeu de renaître de quelques cendres de feu » - Noir Désir – Lost
« Pôle halluciné
Pour courir ventre à terre
Brouillard et fumée
Consommer consumer
Recracher de l’air
Dans le dérisoir
Dans les accessoires
Dans le feu des possibles
Au coeur de la cible
Dans la schizophrénia
Dans la paranoïa
Un maniacopéra
Pharmacopérave »
- Bashung – Montévidéo
« J’ai mis du temps
Pour oublier que j’t’aimais trop
J’ai mis du temps à t’faire la peau
J’ai mis du vent
J’ai mis du vent sur ma moto
J’ai mis du vertige et de l’eau «
Le cas de Bashung est intéressant. J’ai comptabilité 17 titres de Bashung, 2 de Léo Ferré, 4 de Noir Désir. Leurs points communs? Rappelez-vous les commentaires composés à la fac : ces poèmes destructurés où il fallait trouver du sens à des phrases qui avaient ni queues ni têtes. Reformer un puzzle à partir de phrases « jetées » au hasard. On est loin de Goldman qui sait si bien parler à nos coeurs. Et pourtant, je l’ai déjà vu ému aux larmes le jour où il m’a fait écouter « Comme un légo » de Bashung. Personnellement, je préfère les Rita Mitzuko ou bien Téléphone ou Indochine bien plus facile d’accès. Les titres de sa playlist sont souvent mélancoliques. Je ne dirais pas titres, car dans la tristesse il y a une perception de la douleur plus accrue. En revanche, les titres les plus joyeux sont en Anglais, principalement de la Soul musicale entrainante comme chez Curtis Mayfiled ou bien blues ou enfin rock avec de long solo de guitares comme dans Pink Floyd , Led Zeppelin…
- Fred Pellerin – Nos années lumières
« Enfin, vint le jaune et le jaune jusqu’à l’or.
Jusqu’à ce que la ligne n’en puisse
Plus de retenir sa gestation d’aurore
Et que l’horizon se déchire en deux.
Par l’ouverture, ils virent s’élever,
Dans le ciel neuf, au grand réveil,
L’assiette de toutes les clartés,
La roue à aube, le soleil ».
Il y a aussi du Brassens (beaucoup), du Brel (beaucoup) du Orelsan (Epilogue, notes pour plus tard, Suicide social), Aznavour (Ecrire), Lavillier (ex-aequo avec Brassens), puis des choses complètement barrées et drôles comme les Blaireaux, Joe Dassin …
Est ce que l’on peut en déduire quelques chose?
A vous de voir.
Et les médicaments là dedans?
« Je suis allé voir une psy ». Eric avait 29 ans. Une rupture difficile, sans explications. Il était paumé et tergiversait en rond sans trouver de porte de secours. Il était malheureux. Son médecin traitant lui avait prescrit des anxiolytiques. Eric avait refusé de les prendre car « cela aurait pu l’abrutir« . » Les enfants turbulents sont qualifiés d’hyperactifs. Les personnes en deuils soupçonnés de dépression si ils ne vont pas mieux au bout de 15j après le décès d’un proche. On ne nous laisse plus le temps d’ingérer les aléas de la vie. L’étiquetage psychiatrique va de paire avec l’influence de l’industrie pharmaceutique. Il est hors de question que je sombre dans le misérabilisme ambiant ».
« Au bout d’un an, la psy m’a demandé pourquoi je venais la voir. Elle me disait que j’avais mon propre équilibre. Quand je lui ai demandé depuis quand j’y aurai dû arrêter de venir au cabinet, elle m’a répondu le plus sérieusement du monde : depuis le début ».
Dans la même période, Éric s’est mis à écrire frénétiquement. « J’ai toujours eu des hauts et des bas. Avec heureusement plus de hauts. Je fais de l’escalade. Je ne suis pas dépressif. J’ai un système de valeur bien orchestré de telle manière que je peux trouver des ressources pour me réinitialiser. Écrire me sert de vidange. Le danger m’aide à devenir créatif, créatif c’est être plus intelligent. Je m’auto-guéris. Écrire m’aide à m’évader des choses sur lesquelles je n’ai pas d’emprises. Quand je suis au bord du craquage, ça m’aide à ne pas craquer ».
Résultat : une pièce de théâtre jouée à Paris écrite en deux mois.
De toute évidence, écrire est une fuite, un exil addictif destiné à apaiser des tensions internes et les disfonctionnements de notre société (méchanceté, brutalité, injustice, cruauté, bêtise, négativité, trahison, profit, l’aliénation sociale…). Il se réfugiera à de nombreuses reprises dans son monde intérieur dont sortiront des tapuscrits sur des thèmes délirants: l’appendice et sa condition non vitale, le terrorisme et la chirurgie esthétique etc
J’ai passé du temps à écrire, en m’inspirant de lectures sur le sujet, car je trouve aberrant que ce sujet ne soit jamais traité. La France est le pays le plus consommateur d’anxiolytique au monde. On passe notre temps à chercher « pourquoi on va mal ». On cherche des solutions pour comprendre. Mais la seule bonne bonne question à se poser est : Est-ce un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société malade?
A noter cet article de philosophie magasine sur l’autorité : « l’intelligence réside peut-être moins dans la soumission à la Raison ou à une figure d’autorité humaine ou institutionnelle, que dans une adaptation adroite aux exigences de la situation. Cette intelligence pratique exige de naviguer habilement entre les différentes formes d’autorité. La faculté de la mètis (du grec Μῆτις, soit la ruse, la débrouillardise), incarnée par la figure d’Ulysse, représente cette intelligence pratique qui permet de résoudre les situations les plus insolubles »
[…] Qu’est ce qu’un sureffiscient mentale démontre l’impossibilité du copier-coller dans les entreprises. Il existe des spécificité humaines non prises en comptes et qui détruisent les hommes. Le monde du travail s’y intéresse peu. […]
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