J’ouvre un oeil. Je le referme.
J’ouvre un oeil. Je tiens une minute. Je suis en retard. Je le referme.
J’ouvre les deux yeux. J’ai une révélation : il me faut du PQ. J’enfile un short et je file en pyjama au supermarché. Le rayon a été dévalisé. J’achète 20 rouleaux de Sopalin et tout ce que je peux transporter et manger. Je rentre à la maison et je me déshabille dans ce qu’on appelle « le sas de décontamination ».
Ma femme vide les sacs.
Elle me félicite pour mes courses mais me demande pourquoi j’ai pris du fromage à tartiner, de la viande en boite, des huitres crues, des bretzels, de la galette de riz, des colorants alimentaires, des ampoules, deux tournevis, un pot de peinture blanc satin, un durian, de la soupe, une grande cuillère en bois…
Elle me demande pourquoi j’ai pris des boissons énergisantes et des nids d’hirondelles. Je lui réponds qu’il n’y avait plus que ça chez le traiteur du coin et qu’on sera bien content d’voir des glandes de castor anale en dernier recours. Suspicieuse, elle regarde la boite et m’annonce qu’on fera passer ça pour des boulettes aux enfants.
On est paré.
Je fonce en moto au boulot. J’ai froid. J’ai oublié de mettre un bas de pantalon.
Coup de téléphone.
Mon chef m’appelle.
Il faut que je me rende sur les quais de Paris pour filmer les rues vides et poser des questions aux gens.
J’annonce que je n’ai pas de pantalon, mais que j’ai un masque.
Il me félicite pour mon professionnalisme.
J’éternue.
Des gens courent sur les quais.
Des ouvriers travaillent à la Samaritaine sans aucunes précautions.
J’éternue.
Je remonte mes chaussettes.
Je rentre à la rédaction.
Un ami médecin m’appelle.
Il m’annonce qu’ils n’en peuvent plus et qu’ils n’ont ni masque, ni gants, ni rien.
Trop de malades.
Je lui demande si il a un pantalon.
Il me demande si j’ai encore oublié mon pantalon.
J’éternue.
Il raccroche.
Je file à Montparnasse faire un reportage sur les Parisiens qui fuient la ville.
Je remarque qu’on peut les diviser en deux catégories.
Ceux qui sortent à peine de l’adolescence et possèdent l’air présomptueux des gamins portant des jeans trop court fréquentant des écoles de commerce.
Ceux, plus âgés, qui ont des têtes de mocassin à gland.
Dans les deux cas, ils ont l’air malade.
Je plains les provinciaux.
J’ai le sentiment qu’on leur envoie nos poubelles.
La vie normale continue : Je reçois deux coups de fils importants.
Le premier provient de Free.
Une femme au fort accent m’annonce une ristourne exceptionnelle.
Je lui demande son numéro de téléphone privée pour la rappeler.
Elle me dit que c’est interdit par les statuts de sa boite et qu’elle n’aime pas être dérangée. Je lui dis que j’ai les mêmes statuts que sa boite et qu’elle n’aime pas être dérangée.
Je lui réponds que moi non plus et je raccroche.
Le second provient de mon boucher qui m’annonce une remise sur les côtelettes.
Je lui en commande dix kilo.
En bon commerçant, il m’offre une tête de veau.
Mail de mon grand-chef.
Désormais, un ancien chef (O.) viendra sous-chefs et épaulera mes 5 autres chefs pour gérer les 7 reporters sur le terrain. Le ratio me parait raisonnable.
O. m’appelle et me demande de me rendre immédiatement à Roissy filmer des Américains coincés dans l’aéroport.
Je lui dis que je n’ai pas de pantalon.
Il me demande si j’ai un masque.
Je lui réponds que je le porte depuis dix jours.
Il me félicite pour mon endurance.
Je lui annonce que je refuse d’aller à Roissy.
Journée terminée.
Je reçois un coup de fil de ma mère.
Elle est très inquiète.
Elle me demande si j’ai fait un stock de PQ.
Hélas non. J’en ai peu. Je les utilise uniquement pour éviter de laisser mes empreintes
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😀 et des gants ? Tu avais des gants au moins ?
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