L’écrivain et rappeur Gaël Faye vient de sortir : « Lundi Méchant ». Un disque philosophique, entrainant, envoûtant. Je l’écoute en boucle depuis vendredi minuit. Tout y est somptueux. Et pourtant, ce n’était pas gagné ! En 2017, il avait sorti Rythme et botanique, un EP incroyable avec Tôt le matin, Solstice, Irruption.
L’album, mi-acoustique mi-électronique, est traversé par des sentiments divers que nous bombarde, avec une certaine douceur, la voix du rappeur. Voici sa vie, avec des inserts de son dernier album. Allez, c’est parti !
Dans les Echos, on apprend que ses premières années au Burundi et le départ précipité pour la France n’empruntent rien au champ de la fiction. C’est durant ces journées de chaos qu’il noircit des pages pour la première fois, juste avant d’embarquer dans l’avion de rapatriement venu chercher les ressortissants français. « Bujumbura était vraiment en guerre, ça pilonnait du matin au soir, il y avait des meurtres partout dans la rue. J’ai écrit parce que j’avais peur », se remémore-t-il. Premiers germes de l’artiste qui sommeille en lui, ces heures sombres sont aussi le fil rouge de toute son œuvre. « J’ai débarqué un soir d’hiver, aéroport Charles de Gaulle / victime des dommages collatéraux du discours de la Baule », rime-t-il dans son premier album.
Le corps assommé, toujours épuisé, les masques sont mis
Triste face à face, poursuite du bonheur
Reflet dans la glace, les années qui passent flétrissent les fleurs (Ok)
Les écrans, le bruit, l’argent, les crédits, les phrases assassines, les cons, les cancers
Le temps qui s’écoule, le vide qui se fait, le silence épais, la vie c’est la guerre
Tourner dans l’tambour
Amour placébo
Faire semblant pour tout, c’est violent partout, la vie c’est Rambo
T’as le souffle court (respire)
Quand rien n’est facile (respire)
Même si tu te perds (respire)
Et si tout empire (espère) »
Sur le tarmac, sa mère l’attend, tandis que son père reste, lui, vivre au Burundi. Direction Versailles où il fera collège, lycée avant de s’orienter vers des études de finance à l’université puis dans une école de commerce via les cours à distance du CNAM. Option actuariat et assurances. Un parcours carré qui ne s’arrondit pas quand il décroche son Master 2. Le diplômé traverse la Manche pour travailler à la City dans un fonds d’investissement. Aujourd’hui, il préfère éviter de nommer son ancien employeur ainsi que sa business school. « Ça leur fait de la pub. Et si jamais je gagne un prix important, je n’aimerais pas qu’ils me présentent comme un ancien salarié ou élève », décrypte Gaël Faye.
L’existence mord comme un coup de tesson
Je rêve, je dors, je vis sous pression
La ville dehors est comme sous caisson
Un croissant de lune s’éteint et s’allume
Donne moi l’amour que je n’ai pas eu
Et je t’offrirai ce que tu n’as jamais vu
Un vaste horizon caché derrière le talus
Je veux t’envoler
T’inventer des contrées
T’emmener, t’évader
Au large, au large, au large
Je t’inventerai des exils
Des archipels fragiles
Je t’inventerai des exils
Des archipels fragiles »
BUREAU LE JOUR, SCÈNE SLAM LE SOIR
Le voilà devenu gestionnaire de portefeuille spécialisé sur les risques de pollution et d’amiante. « Il y avait aussi les risques politiques à prendre en compte, ce qui m’intéressait davantage », note-il. Tant pis pour les lettres. Va pour la prudence. « Il fallait six mois pour maîtriser le logiciel dont on se servait, mais après le travail était très répétitif », ajoute-t-il. « Consulting Marketing Finances, c’est pas vraiment son kif / Mais le voilà motivé pour travailler pendant dix ans / Épargner assez d’argent puis il sortira du rang / Même s’il échoue par la suite, il aura son assurance / Un diplôme Bac+5 et ses dix années d’expérience », rappera-t-il quelques années plus tard, à la troisième personne, dans son deuxième album.
Que l’on s’éloigne de la rive
On scratchera du gramophone
Quelques ritournelles caraïbes
On s’épuisera sur le dancefloor
En de petits pas économes
Tant que sera levé le store
Nos palpitants s’ront métronomes
Elles me reviennent les années folles
Quand on mourrait seulement de rire
Oh, rappelle-toi du Malecón
Le clapotis de nos souvenirs
Un jour viendra cette ritournelle
Quand ma voix se s’ra envolée
Je te supplie en souvenir d’elle
De continuer à chalouper »
Mais ce plan de vie ne sera pas mené à son terme. « Tous les matins, les mêmes bonjours, aux mêmes personnes, au même endroit / La routine, le quotidien, parcours funèbre, chemin de croix […] Les objectifs, le rentable, compétitif jusqu’aux entrailles / Il s’est sculpté le masque exigé par le monde du travail », chante-il sur le même titre. Derrière le masque, l’homme grimace et se morfond. « Je me plaignais énormément de ma vie auprès de mes proches. Il fallait que je change », explique-t-il aujourd’hui. Il se décide à délaisser ses tableurs Excel pour devenir « pianiste sur un clavier Azerty ». Mais l’artiste reconverti ne se lance pas les deux pieds joints et se contente de poser un orteil prudent dans ce nouveau monde. « Je n’ai pas fait mon malin et dit tout de suite : “À moi la vie d’artiste”. J’ai trouvé un travail à la Défense et me suis laissé un an pour voir si les choses prenaient ou pas. »
Les hommes sont des hommes pour les hommes et les loups ne sont que des chiots
Alors on agonise en silence dans un cri sans écho
Et même si la technique avance, elle ne changera pas la déco
On a grandi avec le poids de nos démons sur le roc des coteaux
Alors donnez-nous des mots pour qu’on vous change la photo
Pour qu’on écrive à hauteur d’homme ce que la télé ne montre pas
Les battements du cœur de mon âme est une info qui ne ment pas
J’venais d’Afrique mais sans connaître Kouchner et puis son sac de riz
J’ai débarqué un soir d’hiver ici avec un sac de rimes
C’est cool
Ma jeunesse s’écoule
Entre un mur qui tombe et deux tours qui s’écroulent
Eh ouais c’est cool
….
Les souvenirs de ma vie s’mélangent à toutes ces images diffusées
Vivre hors champ d’la caméra c’est souvent ne pas exister
On nous gave d’images à satiété, de sexe, de fric et de faucheuse
Alors j’écris des textes comme un écho de nos vies silencieuses
Sur leur écran on est des bouts d’pixels perdus dans la foule
Et nos vies s’écoulent, coulent pendant qu’le monde s’écroule
La journée, c’est métro-boulot. Le soir, le saltimbanque à mi-temps écume les scènes slam. Il y côtoie Edgar Sekloka, déjà croisé quelques années plus tôt autour d’une pièce de théâtre pour commémorer les dix ans du génocide rwandais. Avec lui, il fonde le groupe Milk Coffee and Sugar en 2007. Via leur propre structure, les deux artistes sortent un album du même nom, en indépendant, au cours de l’année 2010. La voix lourde et posée d’Edgar Sekloka se marie parfaitement au flow plus agile et délié de Gaël Faye. Révélation du printemps de Bourges 2011, le duo se trouve un public, même si le succès d’estime ne sera pas commercial, avec 5 000 albums vendus. Mais l’opus et la qualité de leur écriture ont charmé quelques oreilles. Gaël Faye signe, en contrat de licence, chez Motown/Mercury (Universal Music France) et, début 2013, son premier album solo voit le jour : « Pili-pili sur un croissant au beurre » (le pili-pili est un piment rouge africain, NDLR). « Avec le recul, je pense que c’est une œuvre fondatrice qui l’a libéré, car il existait là vraiment en tant que Gaël Faye et ça lui a permis de se projeter comme artiste solo à part entière », estime Damien Régnier, chef de projet, pour Universal Music France, de cet album. L’opus est très autobiographique, Gaël Faye y explore son passé. Comme avec le morceau Hope Anthem dans le précédent album, il aborde la question rwandaise dans un titre intitulé… Petit pays. Déjà.
Gaël Faye chante Christiane Taubira
A ses hoquets, ses hauts ses bas, ses haussements d’épaules veules
Au recensement des ossements qui tapissent le fond des eaux
Vous finirez seuls et vaincus, aveugles aux débris tenaces
De ces vies qui têtues s’enlacent, de ces amours qui ne se lassеnt
Même lacérées de sе hisser à la cime des songeries
Vous finirez seuls et vaincus, grands éructants rudimentaires
Insouciants face à nos errances sur la rude écale de la Terre
Indifférents aux pulsations qui lâchent laisse à l’espérance
Vous finirez seuls et vaincus car longue longue est la mémoire
Des pieds des peaux des au-revoir, et de ces temps itinérants
Où devisant et divisant, vous créez un monde en noir et blanc
Vous finirez seuls et vaincus, vos cris vos cors et vos crédos
Autorité en toc et broc ne sauront vous sauver de rien
L’éclat de nos vies entêtées éblouira vos en-dedans
Et vos enfants joyeux et vifs feront rondes et farandoles
Avec nos enfants et leurs chants, et s’aimant sans y prendre garde
Vous puniront en vous offrant des petits-enfants chatoyants
Vous finirez seuls et vaincus car invincible est notre ardeur
Et si ardent notre présent, incandescent notre avenir
Grâce à la tendresse qui survit à ce passé simple et composé »
Ces mots sont ceux de Christiane Taubira, l’ancienne ministre de la Justice. Elle a écrit ce poème dans un contexte d’attaques racistes qu’elle avait subit. Un texte ciselé, magnifique et c’est peut-être la plus belle réponse qu’elle peut faire aux intolérants. Dans ce poème, l’ex-ministre de la Justice témoigne de sa foi envers les générations futures pour combattre intolérance et racisme. Ce morceau fera date dans la chanson française. Il y est dit que ce que nous avons en nous de lumineux triomphera toujours et on aimerait la croire.
On remporte pas les trônes sans leurs couronnes d’épines
Pars au loin, au hasard …
On ment pas aux miroirs, autant feindre son ombre
On court après des gloires, on veut se faire un nom
Avoir une preuve de soi, qu’on est passé par là
Alors on tagge des mammouths la nuit sur des parois
Dis-moi, toi tu fais quoi du temps qui reste à vivre ?
On se répare comment de tout c’qui nous abîme ?
Les poèmes des parpaings pour fabriquer des dômes
Et l’enfance ne part pas, c’est ma douleur fantôme
Je dérive en rêveries du crépuscule à l’aube
À faire l’tour du cadran pour quelques jolis mots
Des astres brillants dans le chaos des chiens
Quelques poussières d’étoiles dans un tas de déchets
Il faut chercher en soi ce que son âme recèle
Des prières, des mantras, ce que la vie enseigne
Avant qu’nos corps ne cèdent comme des statues de sel
Dansons sous les lumières du ciel…
(Eh yo) Je rêve mon ami de Stone Town…
Et vu que je renais déjà de nos abysses
Je fais de nos sourires d’éternelles cicatrices
Et j’arpente la vie sans jamais oublier
Qu’un orage en avril, qu’un soleil en juillet
…
Je rêve de vous
Vous mes lumières invaincues
Mon souvenir
Mes silences nus
Je rêve de vous
Dissipe les ténèbres
Je n’oublie pas
Je m’habille de vos rêves
L’album s’achève sur « Kwibuka », l’une de mes chansons préférées. C’est l’histoire d’un petit pays qui s’est remis du génocide. C’est plein d’espoir, rythmé. Sa voix est suave. C’est un hypercut.
C’est un bien trop grand et riche pays (sous-sol) gouverné par des gens chaque fois plus corrompus.
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Une de mes amis vit en rdc. C’est tendu comme coin!
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mais c’était il y a longtemps, longtemps… depuis cette région a toujours connu la guerre.
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Nous vivions dans le Kivu, près du Katanga.
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Ils se ressemblent de ouf! Et ils sont très poète tous les deux… c’est triste mais avec de l’espoir. L’album est construit de fort belle manière. On sent qu’il y a une progression. Tu étais dans quel pays?
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Ce sont de beaux et tristes textes. Ayant connu une guerre en Afrique (sommes partis à temps !) ces paroles me parlent, même si à l’époque j’étais très jeune.
Quelle ressemblanve physique avec Stromae !!!
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