Débat entre La Boétie, Montaigne, Wittgenstein, Confucius, Tocqueville, Hobbes, Voltaire et Saul sur la politique.

Lexique des protagonistes

La Boetie – La thèse de la Boétie est la suivante : les régimes sont fondés sur la peur, laquelle sert à dissimuler l’absence de légitimité des gouvernants.

MontaigneMontaigne doute et ne prétend jamais proposer de vérité assurée mais seulement un témoignage subjectif. Sa philosophie est recherche, exercice d’une raison délivrée de ses illusions.

Wittgenstein – La notion de non sens est au cœur de la conception wittgensteinienne de la philosophie. Il s’agit de tracer les limites du sens, de séparer ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas l’être. Tout ne peut en effet être dit de façon sensée, il y a pour Wittgenstein une limite à l’expression des pensées.

Confucius – Confucius est le Chinois le plus célèbre au monde. On le compare à Platon en Asie. Le confucianisme est un système philosophique que l’on peut qualifier d’humaniste. Les Entretiens de Confucius se lisent comme un poème méditatif qui fait lever les yeux vers la lune tout en ancrant les pieds solidement au sol. L’être humain, l’étude, les rites, la musique, l’art de gouverner, l’ambition, la décadence, l’exaspération… tous les aspects de la vie humaine y sont commentés sous forme de paragraphes très courts et résolument philosophiques.

Tocqueville – Son approche est totalement originale, passant d’une philosophie normative qui prévalait chez les Classiques (Montesquieu, Rousseau ou les Grecs) à une approche descriptive et clinique de la démocratie. Son approche doit d’ailleurs beaucoup à la philosophie de Machiavel, dont elle se rapproche beaucoup.

Hobbes – c’est sans doute ses préceptes qui ont le plus fondé nos régimes politiques modernes. Le Léviathan relate l’aventure politique moderne à partir de l’état primitif de l’homme, qu’ Hobbes décrit comme un état de “guerre de tous contre tous”, dominé par la bestialité des rapports. Et c’est à partir de ce postulat, “l’homme est un loup pour l’homme”, que le philosophe anglais bâtit sa théorie du Léviathan.

Voltaire il est un philosophe déiste. Contrairement à plusieurs des philosophes des Lumières, Voltaire n’est pas athée : il est déiste. Cela signifie qu’il croit qu’il existe un dieu-horloger, qui a créé le monde. … En revanche, Voltaire est un farouche adversaire du fanatisme religieux et de l’intolérance.

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Huit blancs sont assis dans un bar. Ils parlent avec véhémences en regardant la télé. Sur l’écran, un homme annonce la composition du nouveau gouvernement. Un autre les observe depuis l’autre bout de la salle.

La Boétie : Ils changent la couleur des chemises, mais ce sont toujours les mêmes. 

Montaigne lève son verre en direction de la télé : sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul 

La Boétie pouffe de rire. 

La Boétie respire bruyamment : les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. 

Saul : Napoléon et Staline mesuraient 1,68m. Mais ils portaient des chapeaux tous les deux. Je peux avoir le sel?

Wittgenstein semble émerger d’un long sommeil. Il lève un sourcil. 

Wittgenstein : Un tyran ? Où ça ? 

Montaigne : Là ! À la télé ! Notre Premier ministre n’a pas encore commencé son job, mais je peux déjà te tracer son portrait. 

La Boétie le coupe : la domination, les avantages de castes. Un jeu à huis clos pour soumettre toujours et encore le même pantin : le peuple. 

Wittgenstein : Le peuple ?

Saul : Si tu parles au peuple et que tu penses que le peuple comprend ce que tu dis, c’est que tu deviens schizophrène.

La Boétie : Les opprimés jouent un rôle dans la domination qu’ils subissent. Le peuple continue à accepter cette servitude et la perpétue en délaissant leur propre esprit de liberté. 

Wittgenstein fait la moue : les opprimés ? 

La Boétie : L’habitude, la répétition. Sachez, cher ami dépressif, que l’on nait dans un état de servitude. 

Wittgenstein : Allons bon… La servitude maintenant…

La Boétie : On ne peut pas connaitre ce que l’on n’a pas connu. Les Tyrans dirigent le monde et usent de la ruse pour maintenir le peuple dans l’ignorance. Les inciter à consommer. Se soumettre au diktat d’une économie libérale dont la majeure partie des profits se dirigent vers une seule caste. C’est la chaine de soumission. Une forme pyramidale liée par une ascendance hiérarchique dont la base, le peuple, accepte les vices. 

Wittgenstein : Des vices ?

Montaigne tape dans le dos de son meilleur ami : les mots ont un sens. On parle de démocratie, mais le terme est galvaudé. On devrait plutôt parler de système d’élus représentatifs et non de démocratie totale et directe. 

Saul : Une fois, j’ai fait campagne pour être élu délégué de classe. Une fois nommé, je n’ai jamais reparlé aux autres élèves.

Tocqueville : Attendez, attendez… La démocratie émane du peuple. Le système a été inventé en Grèce, mais l’on doit la séparation des pouvoirs à Monstequieu et le suffrage universel aux États-Unis.

Wittgenstein : Je ne suis pas d’accord. Vous pensez les choses à l’envers. Vous construisez, alors qu’il faut déconstruire. Le système d’élus représentatifs n’existe que parce qu’on l’a inventé.

Montaigne semble lassé. Il se ressert un verre et se mouche dans un pélican.

Wittgenstein : Tu parles de Tyrans qui dirigent le monde. Mais qu’est-ce qu’un tyran ? Déjà, ta question ne se pose que si quelqu’un, un « martien » par exemple, ou un dirigeant « non-tyran », ce qui n’existe pas selon tes propres termes, nous la pose. Donc, tu poses un faux problème. 

La Boétie : Où veux-tu en venir ? 

Wittgenstein : Il n’y a pas de martiens ni d’entité opposable à ce concept. Par conséquent, ce débat n’est pas un débat. Et « ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». 

Saul : Y a un bébé éléphant dans ma salade.

Montaigne dans sa barbe en essorant son pélican: Ça se termine toujours pareil avec lui… 

Dans un coin, un petit homme asiatique suçote des écailles de Pangolin. Il attrape une chauve-souris et l’essor sur son plat.

Confucius : Je vous écoutais en silence. Il me semble que vous fassiez fausse route. Il faut penser global.

Voltaire rote. 

Confucius : Vous parlez de tyrans, mais vos représentants sont élus sur la seule base nationale. Ils sont logiquement conduits à se cantonner aux seuls intérêts de leurs électorats sans prendre en compte ceux non moins légitimes du reste du monde ou des générations futures. 

Wittgenstein : Générations ? Tes mots ne sont pas justes. Tu devrais te taire.

Saul sort un éléphanticide de son sac et commence à asperger son plat.

La Boétie : Tu ne remets donc pas en question la tyrannie du pouvoir?

Confucius l’ignore et monte sur la table. 

Confucius à la Boétie : Absolument pas. En politique, la seule réponse est : l’efficacité. Or, pour mettre de l’ordre dans le monde, nous devons d’abord mettre de l’ordre dans la nation. Pour mettre de l’ordre dans la nation, nous devons mettre de l’ordre dans la famille. Pour mettre dans l’ordre dans la famille, nous devons cultiver notre vie personnelle. Et pour cultiver notre vis personnelle, nous devons d’abord réparer nos cœurs. Tout est lié au sein de l’harmonie cosmique : l’ordre intime et l’ordre politique, l’ordre social et l’ordre familial, l’ordre du plat du jour à 14 euros et l’ordre même du Monde. Tout est une question d’ordre.

Saul : Tu veux dire que l’État devrait s’occuper du prix du plat du jour ? Je milite pour un plat unique à 9 euros 90. La barre des 10 euros est psychologiquement difficile à dépasser.

Confucius : Ce que nous gagnons en richesses nous le perdons du côté du repos et du bonheur. Alors un peu d’ordre en ce moment, ça ne ferait pas de mal. 

Tocqueville : Je reviens des Amériques. J’ai constaté le système inverse. 

Voltaire mange un beignet. 

La Boétie : Tu as fait bon voyage ? 

Tocqueville : J’aurai dû prendre l’avion. Le bateau me brasse l’estomac… J’ai assisté au développement d’une forme de cancer. 

Montaigne : Il était assis sur son cul ton cancer ? 

Voltaire : Il avait un nom ce cancer ?

Saul : Je trouve que le cancer est extrêmement surfait. Vous aviez remarqué qu’il existe juste assez de forme de cancer pour remplir la revue « oncologie et art de la table »?

Wittgenstein : Ça ne sert à rien de lui donner un nom. 

Tocqueville : L’égalitarisme. 

Wittgenstein lève les yeux au ciel : Chut ! Tais-toi.

Confucius acquiesce.

La Boétie : C’est aussi grave que cela ? 

Tocqueville : Oui. Nous en avons les métastases dans notre beau pays. 

La Boétie : Développe. 

Tocqueville : Imaginez. Là-bas, tous les hommes ont le même droit de vote. Politiquement, une blanche équivaut à une noire qui équivaut à un trader, qui équivaut à un paysan. L’alcoolique est, en droit, semblable à l’abstinent. Le système politique est égalitariste : tout le monde est logé à la même enseigne. 

La Boétie : En quoi est-ce mauvais ? (Il se ressert un verre de punch)

Tocqueville : Là, nous abordons la politique. Mais projette-toi sur l’aspect social, sociétal ? Comment ces populations peuvent-elles accepter de ne pas avoir la même maison ? Le même iPhone ? Les mêmes vêtements ? A terme, les gays demanderont à avoir des enfants. Les pauvres voudront rouler dans des voitures de luxe. Les caissiers militeront pour obtenir des résidences secondaires. Tous voudront partir n’importe où dans le monde dans des résidences de luxe.

Saul à Montaigne : Tu l’as eu où ton chapeau tyrolien? Je veux le même.

Montaigne levant les yeux au ciel: C’est Freud qui se frotter les mains…

Tocqueville : Et pas que les mains ! Les industriels et les politiques l’ont bien compris : cette passion pour l’égalité se fera au détriment de la liberté. Une confusion intellectuel s’opérera quelque part entre l’égalité politique et l’égalité sociale. Les institutions donnent le droit d’être égaux politiquement? Très bien. Mais les peuples vont se battre pour devenir les mêmes socialement.

Confucius : C’est l’opposé de l’ordre.

Tocqueville : Plus précisément, c’est l’avènement du conformisme, l’érosion de la noblesse, du courage, la disparition de l’honneur. En bref : la disparition de la noblesse ! Le progrès de la société provoquera une régression de l’individu. Le pire alcoolique pédophile s’arrogera la permission de se comparer à l’abstinent non-pédophile en bonne santé et de dire « j’ai bien le droit de… On est quand même en démocratie ». 

Saul caresse la plume du couvre-chef du Bordelais : Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas avoir le même…

La Boétie : Je vous ai parlé de mon prochain film? Je l’appellerai Idiocracy

L’homme assis à l’autre bout de la salle se lève brusquement. Il s’approche du groupe en les invectivant. 

Hobbes : Je vous trouve ahurissant de stupidité ! Liberté, Égalité. Ce sont de vains mots ! Des principes secondaire ! La seule chose qui compte c’est la sécurité ! Notre vie sociale s’est pacifiée. Souvenez-vous ! Auparavant, nous étions livrés à la vindicte, à la violence. Les forts soumettaient les faibles. C’était l’État profond de notre ordre naturel ! Nous avons formé un pacte pour assurer notre sécurité à tous ! Troquer la violence et notre liberté naturelle. Fini les machettes ! Nous avons désormais la sécurité sociale ! Des APL ! Une assurance chômage ! La sécurité vaut plus que la liberté ou l’égalité. Nous en avons fini avec la « mort violente » pour le simple fait d’avoir piqué une pomme dans un arbre. Arrêtez de voir le mal partout et profitons « des douceurs de la vie » ! 

Montaigne dubitatif : Et les banlieusards, ils en profitent des douceurs de la vie ? Les minorités ? Les orphelins ? Les handicapés ? Les caissières ? 

Saul : Franchement, j’apprécie le fait de sortir boire un coup le soir sans me demander si je vais me faire égorger à mon retour.

La Boétie : S’ils ne profitent pas des douceurs de la vie, doivent-ils reprendre leur liberté ?

Hobbes sort un cahier et cherche une page dans ses notes. 

Hobbes concentré : Ah oui… Les pauvres. Attends… Il me semble bien avoir écrit un truc là-dessus. 

Un type sorti de nulle part entre dans le bar. Il frappe la tenancière, brise un verre sur le comptoir, attrape Hobbes par le colbac et pose le tesson sur sa gorge.

Malthus : Je te l’ai dit 100 fois ! Il faut réguler les naissances ! Éradiquer les pauvres. Il n’y a pas assez à manger sur la table ! Le banquet, ce n’est pas pour tout le monde !

Saul : Les pauvres sont souvent laids.

Hobbes geint en se débattant. 

Tocqueville et Montaigne écartent les deux hommes. 

Confucius sort un cahier et écrit quelque chose dedans en murmurant. 

Confucius : Pour mettre de l’ordre dans notre souveraineté alimentaire, il faudrait donc mettre de l’ordre dans nos naissances… 

Wittgenstein : Alors là, il n’y a plus rien à dire ! 

Voltaire essaie de dégager Malthus. 

Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ! »

Saul à Wittergenstein : Toi qui l’a connu jeune, tu peux me le dire honnêtement : Hitler, il n’était pas si méchant jeune?

La Boétie: Mais faites-le taire !

Voltaire : Jamais je ne laisserai une telle chose se produire ! 

Les hommes se calment et finissent par s’asseoir. 

Voltaire se resserre une bière sous l’œil de La Boétie. 

La Boétie : Et toi, tu en penses quoi de tout ça ? 

Voltaire : « Si l’homme était parfait, il serait Dieu ». Je pense qu’il vaut mieux tard que mal, et cela en tout genre. Votre débat sur une tyrannie de classe ressemble à l’histoire de l’Ephémère. 

Wittgenstein : L’animal ?

Voltaire : Exactement. 

La Boétie : Que voulez-vous dire ? 

Voltaire : Comme je l’écrivais à Madame Marie du Deffand, « Je travaille jour et nuit ; la raison en est que j’ai peu de temps à vivre, et que je ne veux pas perdre de temps ; mais je voudrais bien aussi ne pas vous faire perdre le vôtre ». 

Voltaire se lève et jette un regard à ses convives. Il sort une liasse de billets et dépose négligemment un billet de 100 euros sur la table. Tout enfilant son manteau, il poursuit. 

Voltaire : Mes chers amis, je vais donc aller à l’essentiel et vous apporter la seule réponse qui vaille. Sachez qu’en toute bonne chose se trouve le fruit défendu. Vous parlez de tyrans, de démocratie, de pauvreté, d’égalité, de liberté, de sécurité, d’ordre. Sachez que les mots et les vertus possèdent tous deux une capacité de destruction infinie. « Un seul mauvais exemple, une fois donné, est capable de corrompre toute une nation, et l’habitude devient une tyrannie ». 

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